Ce samedi 10 février, une vingtaine d’Amis du Vieil Istres ont bravé le Mistral et la glaciale météo pour visiter le sympathique village d’Orgon. Un village traversé par la Durance, l’ancienne nationale 7 et qui fut jadis le passage obligé des voyageurs Paris-Marseille. De ce fait, Orgon comptait presque autant d’habitants au XIIIe siècle qu’aujourd’hui. Son nom dérive du nom latin Urbs Gothum, et attesté Orgono en 1114.
La visite a débuté par le bâtiment qui abrite désormais l’office du tourisme et le musée Urgonia. Ce bâtiment a été aménagé dans une ancienne prison du XIXe siècle. Le musée comprend trois parties. Elles ont été présentées par Fabrice Aubert, un guide parmi les plus expérimentés qui, par sa transmission pédagogique, nous a livré de multiples détails sur les richesses d’Orgon et de sa région. La première est la plus ancienne puisqu’elle retrace l’histoire géologique et paléontologique d’Orgon et de sa région. Les Amis du Vieil Istres ont pu presque toucher du doigt, le célèbre calcaire urgonien, formé il y a 115 millions d’années au cours du Crétacé inférieur. C’était alors une époque où la mer recouvrait Orgon alors que les Alpilles ne s’étaient pas encore formées. Le musée abrite de ce fait des fossiles marins d’espèces disparues. L’Urgonien est une appellation créée en 1850 par le paléontologue français Alcide d’Orbigny (1802-1857) pour désigner le massif calcaire de cette commune.
La seconde partie du musée est plus récente. Elle est consacrée à l’archéologie avec plusieurs sites locaux : l’abri sous-roche de la Fanfarine (période Alleröd, il y a environ 11 000 ans), deux autres : le Dolmen des Gavots et les Calades, deux habitats du 3ème millénaire avant JC et de la période Campaniforme (céramiques à faciès particulier et en forme de cloche renversée) ainsi que de nombreux autres sites éparpillés avec des habitats s’étalant du néolithique à l’âge du fer.
Enfin, la troisième partie présente l’avifaune régionale, du moins quelques espèces emblématiques des milieux ouverts (sur le haut plateau) : le pipit rousseline, l’alouette lulu, la fauvette pitchou, la pie-grièche méridionale, l’engoulevent d’Europe, le rollier d’Europe … ainsi que quelques visiteurs nichant dans les Alpilles et venant chasser tels l’aigle de Bonelli, le circaète-Jean-le-Blanc ou encore le vautour percnoptère.
Après un très bon repas au restaurant Côté Jardin, l’après-midi a débuté avec la visite du centre ancien et de ses ruelles étroites comparables à celles du Vieil Istres. Une visite dirigée tambour battant par Richard Deunette, un guide aussi compétent et dynamique que l’animateur du musée Urgonia. Monuments et façades étaient au rendez-vous :
Les anciennes portes d’entrée du village avec tout d’abord la porte de la Durance côté est. Egalement surnommée porte de l’Ange, elle date de 1591 et fait partie de la seconde enceinte. C’est dans une grotte proche que les voyageurs devaient s’acquitter d’un droit de péage s’ils traversaient ou longeaient la rivière.
Au nord-ouest, la porte Sainte-Anne date également de 1591. Elle fait donc partie elle aussi de la seconde enceinte. Des personnages célèbres l’ont traversée tels François Ier, Nostradamus ou encore Napoléon Ier lors de son passage en direction de l’île d’Elbe, le 26 avril 1814 ainsi que … les Amis du Vieil Istres ce samedi 10 février 2018.
Au sud-ouest, la porte de l’Hortet est la plus ancienne (XIe siècle) et dépend de la première enceinte. Son nom provient du latin hortus (jardin … d’où l’horticulture). Elle donnait accès à l’ancien village dit de La Savoie que le duc de Savoie s’était accaparé en 1590. 110 habitations y avaient pris place, la dernière maison a été détruite en 1956 mais il reste quelques traces d’anciens murs. Ce village se situait au pied du château (en ruines) du duc de Guise. Fortifiée à la fin de l’Empire romain, cette forteresse, perchée sur un emplacement stratégique, avait pour mission de surveiller la vallée de la Durance. Le château a subi quelques mésaventures : après avoir été détruit par les Wisigoths au VIe siècle, il a été reconstruit au XIe pour devenir le fief des comtes de Provence. Une place forte militaire réputée au XIIe siècle que Louis XI a fait démanteler en 1483. Elle sera partiellement restaurée le siècle suivant pour être entièrement détruite sur ordre de Richelieu en 1630.
L’église de l’Assomption n’est autre que l’église paroissiale d’Orgon, mitoyenne à la mairie et supervisant la place de la Liberté. On y accède par un double escalier monumental qui se croise comme un fer à cheval. Sa construction date de 1325, le clocher de 1660 (lorsque Louis XIV traversa Orgon) et la cloche en bronze (baptisée Anne-Marie) de 1754. Le sommet du fronton de l’église supporte une croix de mission datée de 1902 (année de sa bénédiction) alors qu’à gauche de l’escalier monumental, trône une autre croix simplement dénommée croix du parvis de l’église de l’Assomption.
L’intérieur de l’église est magnifique. Il comprend six chapelles dont une, comporte une Vierge en bois tenant l’enfant Jésus dans ses bras. Cette statue a vécu une histoire mémorable le 8 septembre 1562. Des soldats pillards sous les ordres du baron des Adrets pillèrent la chapelle primitive de Notre-Dame de Beauregard et la jetèrent du haut de la falaise du site. Une chute de 100 mètres qui ne parvint pas à briser la statue … En action de grâce, un monument expiatoire a été érigé pour honorer ce miracle qui aurait même fait jaillir une source …
Au fil des rues, les Amis du Vieil Istres se sont arrêtés devant la Croix de la Conillière, construite en souvenir des morts de la peste de 1721. Certaines maisons ont pu conserver quelques bribes du style Renaissance comme la façade du n° 4 de la rue Georges Coste (ancienne demeure consulaire du XVIe siècle) ainsi qu’au n° 2 de la rue Edmond Coste. Au n° 15 de cette même rue Edmond Coste, trône l’hôtel Berne, une demeure qui hébergea des célébrités : la reine Christine de Suède en 1657 et la pape Pie VII en 1814. La rue Edmond Coste fut l’artère commerçante d’Orgon lors de l’apogée du village entre 1850 et 1900. Le n° 20 de la rue Jules Robert était quant à lui un ancien hôtel où résidait la famille Collin (notaires royaux).
L’après-midi s’est achevée par la visite de Notre-Dame de Beauregard, perchée sur le plus haut sommet de la commune. Elle repose sur un éperon rocheux qui se laisse volontiers admirer depuis l’autoroute du Soleil. Six Amis du Vieil Istres y sont montés à pied par le sentier des Oratoires dont on reparlera en images.
Le site de Beauregard fut jadis un oppidum religieux celto-ligure (second âge du fer) dont les autels, qui honoraient des divinités gréco-romaines, sont aujourd’hui exposés au musée lapidaire d’Avignon. Le site conserva ensuite sa vocation religieuse avec la création d’une modeste chapelle au début de l’ère chrétienne.
Vers 1638, des moines Augustins déchaussés du couvent de Saint-Pierre d’Aix, s’y installent. Ils bâtissent un nouveau couvent qu’ils achèvent en 1660 sur l’emplacement d’un ermitage séculaire. Le monastère perdure jusqu’en 1789 où il subit alors les tourments de la période révolutionnaire. Le site est abandonné. Mais en 1878, il va subir une seconde révolution. Pierre Anselme Bonnard, chanoine et curé doyen d’Orgon, fait restaurer le couvent et édifier la basilique Notre-Dame de Beauregard sur des plans de l’abbé Joseph Pougnet, l’un des prêtres architectes les plus féconds du sud-est au XIXe siècle.
Le site a ensuite hébergé diverses confréries : les Frères Servites en 1935 (Ordre fondé en 1233), la congrégation des Petites Sœurs de Foucauld en 1958 puis la Communauté du Lion de Judas et de l’Agneau Immolé en 1970, une communauté cette fois à l’esprit plutôt baba cool … Le site est ensuite de nouveau abandonné et vandalisé.
Mais survient un sauveur : John-Patrick Fano, actuel trésorier adjoint des Amis du Vieil Istres, qui réussit à convaincre la municipalité de lui redonner vie. Il lance la restauration du monastère puis y réside jusqu’en 1990 en l’agrémentant de rendez-vous culturels et récréatifs. Depuis 2004, il est occupé par un artisanat de poterie, géré par Isabelle De Gea.
A l’ouest de la basilique, il reste des murs et des constructions de l’enceinte fortifiée en 1592. Une enceinte dans laquelle prend place la croix des Pénitents Gris d’Avignon. Cette confrérie l’a érigée après que le pape Pie X l’ait bénite le 20 août 1903 dans l’église des Carmes d’Avignon. Côté nord, on trouve également une autre croix, celle de la Durance qui supervise le village, le mont Ventoux et le Lubéron.
Vous pouvez voir cette journée plus en détails en images en cliquant sur le pavé ci-dessous :
L’abbaye de Saint-Gervais à Fos
Robert a d’abord relaté l’histoire de Fos depuis l’âge du Bronze jusqu’au Xe siècle et plus particulièrement l’année 920 où la garde du château de Fos (Castrum de Fossis sur la colline de l’Hauture) fut confiée par Manassès, archevêque d’Arles, à une famille, de souche locale, qui donnera naissance à la lignée des seigneurs de Fos. Après cette présentation, le sujet du jour était pleinement abordé : l’abbaye de Saint-Gervais, qui fut à l’origine une simple chapelle construite par cette nouvelle famille seigneuriale de Fos afin d’asseoir son prestige par la création et la protection d’églises relevant de son domaine. La chapelle, future abbaye, prenait place sur la pointe de l’anse Saint-Gervais, proche du port antique de Fossis Marianis qui fut l’un des plus actifs du monde romain.
En 989, un prêtre nommé Paton s’installe avec quelques frères autour de la chapelle. Le petit prieuré, devient abbaye et applique la règle de Saint-Benoit, une règle écrite par Benoît de Nursie au VIe siècle pour guider ses disciples dans la vie communautaire et qui gouverne en détails la vie monastique. Au cours de ce Xe siècle, l’abbé Maïeul, à la tête de la Congrégation de Cluny, va donner une impulsion capitale à la renaissance monastique en Provence.
La famille de Fos, fondatrice de l’abbaye de Saint-Gervais sur ses propres alleux, refuse en 1018 de reconnaitre la suzeraineté de Guillaume II, comte de Provence et de lui restituer l’abbaye. Ce qui engendra des conflits armés durant quelques décennies. Fos abdiquera en 1056 mais cette soumission est probablement obtenue par la négociation car Rostaing, fils de Gui de Fos, est désigné archevêque d’Aix, une nomination qui n’aurait pu se faire sans l’accord du comte de Provence.
En 1081, l’Archevêque d’Aix Rostaing confie l’abbaye de Saint-Gervais à l’Ordre de Cluny : la Réforme grégorienne y est appliquée. Les archevêques d’Arles n’exercent désormais plus aucune autorité sur Saint-Gervais ainsi que sur ses nombreuses et riches dépendances.
Saint-Gervais va ainsi rester une abbaye clunisienne jusqu’au XIIIe siècle au cours duquel, la famille des seigneurs de Fos est ruinée. La décadence de la famille fondatrice entraîne inévitablement le déclin de l’abbaye. Les seigneurs fosséens sont amenés à cohabiter avec la famille Porcellet, d’Arles. Dans le même temps, l’Ordre de Cîteaux étend son influence au détriment de Cluny. L’éloignement de Saint-Gervais à la Maison mère favorise une propension à l’indépendance. Ainsi, Saint-Gervais qui a perdu ses repères, perd également son appartenance à Cluny. L’abbaye disparaît alors dans la charte du monastère de Fos. L’archevêque d’Arles la reprend en main, ainsi que ses dépendances.
Mais la situation financière se dégrade et les mœurs internes de l’abbaye se relâchent, la faute à quelques moines qui se jouent des règles et transgressent les interdits. Les moines sont remerciés par le pape et remplacés par des chanoines. La situation de l’abbaye ne s’améliore pas et les chanoines sont à leur tour chassés par des moines de Saint-Gilles-du-Gard, plus motivés sans doute par l’appât du gain que par compassion envers leurs frères de Fos …
En 1423, Saint-Gervais ne sera plus désigné que comme simple prieuré rural. Il va bientôt disparaitre … sous la mer qui a lentement et méthodiquement, envahi ce site chargé d’histoire.