La forteresse de Salses est exceptionnelle. Quand le célèbre Vauban la découvre, il qualifie aussitôt de génie son concepteur dont il s’inspirera par la suite dans ses constructions. Car il s’agit de l’architecte Francisco Ramiro Lopez de Madrid. Elle a été construite entre 1497 et 1503, peu après la déclaration de guerre de l’Espagne à la France. Les espagnols occupent le Roussillon et les rois catholiques (les époux Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille) ordonnent alors l’édification d’une place forte. La sentinelle du royaume hispanique sera finalement semi-enterrée, tapie comme un fauve à l’affût, au pied des Corbières. Ce qui lui donne l’avantage de ne pas être repérée de loin. Aussi, la partie la plus haute (tour de l’Hommage) ne culmine qu’à 26 mètres. Les murs extérieurs, d’une épaisseur atteignant 11 mètres, ont découragé les boulets des assaillants mais ils ont aussi largement contribué à conserver l’édifice. Ces murs extérieurs sont escarpés, atténuant l’impact des boulets et les faisant ensuite redescendre vers les fossés. De plus, il fallait passer trois ponts-levis successifs pour pénétrer seulement dans le châtelet d’entrée. L’architecte espagnol avait donc prémédité un lieu sûr, pouvant accueillir le gouverneur et ses officiers qui pouvaient recevoir des visites féminines. Ce qui n’était pas le cas des 1500 soldats …
Evidemment, tout était en rapport. La forteresse est presque assimilable à un village avec ses cultures, ses réserves de nourriture, sa boulangerie (un soldat consommait 600 grammes de pain par jour), 60 toilettes, 80 urinoirs, des salles spacieuses pour la noblesse, une étable (dimensionnée pour 30 vaches produisant 600 litres de lait par jour), des galeries et labyrinthes (3 km au total), latrines, hammam, monte-charge pour monter les plats des cuisines à la salle à manger du gouverneur et bien d’autres salles surplombant, au centre, la place d’armes. Du grand luxe pour l’époque, d’autant plus que l’édifice était avant tout à vocation militaire.
La forteresse était conçue pour être imprenable et tenir 40 jours de siège. Car, quand on ne peut entrer de force, on assiège. Salses l’a vécu comme bien d’autres châteaux-forts plus modestes. Les Français puis les Espagnols l’ont reprise à tour de rôle à la suite de longs sièges mais Salses restera française à partir de 1642.
Après avoir connue diverses utilisations (dépôt de munitions, prison, lieu d’exercices …), le site est alors protégé au titre des monuments historiques en 1886 puis déclassé. L’administration des Beaux-Arts le prend en charge en 1930 jusqu’à la passation à la direction du patrimoine du ministère de la Culture. Le service des monuments historiques poursuit patiemment son entretien et sa restauration.
Après le repas, le musée de préhistoire de Tautavel attendait les Amis du Vieil Istres. Un musée incontournable. En effet, lors de la fouille archéologique de la Caune de l’Arago, les équipes du professeur Henri de Lumley découvrent en 1971, le crâne d’un homo erectus, soit l’homme qui se tient debout, un pur bipède ayant vécu il y a – 450 000 ans avant JC. Cro-Magnon est presque oublié face à cette découverte qui prend alors le nom populaire d’homme de Tautavel, le plus ancien d’Europe à cette époque. Une découverte qui a évidemment impliqué la création d’un pôle scientifique et culturel. Le petit village viticole de Tautavel devient mondialement célèbre et profite avec plaisir d’un renouveau commercial … inattendu. La grotte était cependant connue depuis 1838, étudiée par Marcel de Serras qui y identifia la faune. En 1948 les recherches de Jean Abélanet permettent de mettre à jour une industrie lithique datant du paléolithique. Des avancées qui vont pousser en 1963 Henry de Lumley à visiter le site et d’entreprendre des fouilles plus méthodiques jusqu’au fameux 22 juillet 1971, jour de la découverte du crâne humain.
Les fouilles ont bien sûr livré une industrie lithique typique du Paléolithique inférieur (biface, chopper …). La faune également grâce à des ossements d’espèces disparues comme l’ours de Deninger, le cheval de Mosbach, le lion archaïque des cavernes, les rhinocéros de prairie et de Merck mais aussi d’espèces qui ont génétiquement évolué dans des contrées plus chaudes après avoir fui la période glaciaire. On peut citer les ancêtres de l’éléphant, du cerf élaphe, du daim, du thar, du bœuf musqué, du bison des steppes, du loup, de la panthère, du lynx des cavernes et du chat sauvage. Certaines sont presque inchangées comme le castor, le lapin de garenne, le mouflon et le porc-épic. Les hommes de Tautavel, laissaient sur place, dans la Caune de l’Arago, les restes de leurs repas qui se sont accumulés sous divers couches de sédiments, la plus ancienne et la plus profonde remontant au Paléolithique inférieur européen.
L’informatique a permis de recréer le visage de l’homme Tautavel à partir de son crâne. Il se reconnait à son front fuyant, ses arcades proéminentes, sa bouche en avant et à son absence de menton. La caverne (Caune de l’Arago) n’était pas un habitat permanent mais un lieu de halte. Une pause de chasse très prisée car le site offre un point de vue stratégique sur l’ensemble de la vallée. Ce qui permet une observation de la faune, source indispensable de nourriture tout comme l’eau de la rivière Verdouble, qui zigzague en contre-bas.
Les campagnes de fouilles se poursuivent chaque été. Depuis 1971, 149 restes humains ont été découverts. Le dernier en 2015 n’est autre qu’une dent datée de -580 000 ans. Ce qui conforte la Caune de l’Arago, à Tautavel, dans sa position de site majeur de la préhistoire mondiale.