Articles publiés par les Amis du Vieil Istres sur le site de Sivier : voir les bulletins n° 24 et 29.
Dans les années 50, les Amis du Vieil Istres découvrirent à Sivier des lames en silex, poteries, poinçons, pointes de flèches … Les aspects de ces vestiges étaient caractéristiques d’une occupation néolithique. Le site n’était pas isolé mais probablement en relation avec d’autres assez proches où le néolithique a été décelé : Berlette, façade est de Montméjean, Saint-Jean et bien sûr le Miouvin, D’autres prospections et sondages suivirent à Sivier. De nouveaux sondages positifs à proximité de la zone gallo-romaine, lancèrent en 2006 des fouilles sur deux zones. Mobilier céramique, trous de poteau, structures d’enceintes et d’habitations en pierres, torchis, industrie lithique (principalement en silex blond et beige) et de nombreux ossements et dents (bœuf, chèvre, mouton et cheval enfin domestiqué) permirent de confirmer l’époque néolithique. La datation carbone réalisée sur un ossement a donné une phase comprise entre 4 321 et 4 041 avant JC pour le niveau le plus ancien, soit la période chasséenne du néolithique.
Sur les deux anciennes terrasses agricoles au nord de la dépression du vallon de Saint-Jean, Georges Amar et Alain Gouverneur, remarquèrent en 1975 de nombreux tessons de céramiques en surface. Leur présence était due à la mise en culture d’un verger qui avait retourné le sol lors des plantations. Les deux Amis du Vieil Istres eurent le plaisir de partager leur découverte avec une spécialiste des amphores : Fanette Laubenheimer. L’archéologue, directeur émérite de recherches au CNRS depuis 2009, étudia le site lors d’une thèse et publia ses résultats en 1985 dans son livre : La production des amphores en Gaule Narbonnaise. Des prospections suivirent : Frédéric Trement en 1988, 1991 et Louis Mouillac en prospection électrique en 1996. Ces archéologues confirmèrent la présence d’un four de potiers et d’un vaste domaine de 5 000 m2. Le terrain fut acheté par le SAN en 1992 pour le préserver d’une éventuelle urbanisation. En 1999, Frédéric Marty (Ouest Provence) trouva l’alandier et le four put être entièrement dégagé en 2000.
Les fouilles ont livré un atelier de poteries gallo-romaines, très bien conservé qui dépendait d’une villa (sur la restanque supérieure) occupée du Ier au IIIème siècle après JC puis au VIème. L’exploitation était viticole mais le four vécut moins longtemps que le domaine. Il fut construit vers 50 après JC puis abandonné 30 à 50 années plus tard. La datation a pu être précisée grâce aux estampilles de céramiques sigillées prélevées sur le site qui ont montré des dessins relatifs aux périodes des empereurs romains Néron, Vespasien et Domitien. Le four était essentiellement consacré à la cuisson d’amphores à vin, de tegulae (tuiles plates) et d’imbrices (tuiles creuses semi cylindriques placées à cheval sur les tegulae pour assurer l’étanchéité de la toiture). Sa hauteur réelle est inconnue mais par comparaison avec des fours de sites voisins, Frédéric Marty suppose qu’il pouvait cuire en 18 jours 938 tegulae et 258 amphores de 30 litres, ce qui correspondrait à des vignes étendues jusqu’à 2,6 hectares. Pour des raisons inconnues, sa capacité fut ensuite réduite passant à 43 amphores et 162 tuiles en 9 jours, ce qui divisa sa production mensuelle par trois. Le four rendait des services annexes comme en témoignent les nombreux fragments de vaisselle récupérés : urne à provisions, olpé, jatte, coupe brule parfum, mortiers, dolium (grande jarre qui était enterrée jusqu’au col pour stocker le vin et contenant de 0,5 à 2 m³ selon les modèles) … un mobilier directement destiné aux usages du domaine.
Sivier, four de l’atelier de potiers : dégagement de l’alandier et du laboratoire (fouilles 2000, image Frédéric Marty).
A droite : chargement supposé vue de face du 1er four (en haut) et du second après réduction (en bas). Étages d’amphores séparés par les tegulae (dessins Frédéric Marty).
Durant la première période du four, les tessons de panse ne permettent pas d’identifier formellement les types d’amphores produites. Quelques fragments de lèvres laissent supposer des amphores gauloises de forme G2, G3 et G5. Les types G4 et G5 ont plus facilement été reconnus pour la seconde période du four. La G5 a dominé la production provençale au Ier siècle après JC et fut largement diffusée jusqu’en Italie. Seulement quatre ateliers étaient connus en 1985 pour l’avoir fabriquée : Fréjus, Viens, Marseille et Istres à Sivier. Le siècle suivant, la G4 était la principale produite, typique du commerce vinaire qui perdura jusqu’au IIIème siècle de notre ère. Les amphores gauloises constituent 93 % des céramiques prélevées lors des fouilles 2000. Mais l’absence de peintures et d’estampilles de potier sur les produits cuits dans le four istréen suggère plutôt un usage local. Selon Frédéric Marty, la production était réservée à l’établissement viticole avec une diffusion régionale assez restreinte.
De gauche à droite : amphore gauloise type 3, 4 et 5 (G3, G4 et G5).
Lors de sondages en 2006, Frédéric Marty découvrit sur ce site, une tombe à incinération secondaire. Un sondage qui impliqua immédiatement des fouilles et des résultats intéressants. En effet, les 880 grammes de restes osseux ne furent pas placés dans une olla mais directement dans la terre. Les offrandes retrouvées provenaient toutes du bûcher. Elles se composaient de deux balsamaires (ou unguentarium) en pâte claire de type UNGUENT D1 et d’une urne CNT-ALP 1a8 (céramique non tournée des ateliers des Alpilles). Le terme balsamaire provient du latin balsamum (baumier, balsamier) qui désignait l’arbre odorant puis par extension, les senteurs balsamiques issues de diverses plantes résineuses dont le parfum est capable d’embaumer. En archéologie, le balsamaire est synonyme d’unguentarium. Il représente un flacon fuselé, contenant du parfum pour la toilette, la médecine et très souvent réservé aux rites funéraires. Ces deux fioles remplies d’huile végétale odorante furent à Sivier répandues sur le bûcher puis déposées vides dans la tombe du défunt. A ces céramiques, se rajoutent d’autres éléments fragmentés provenant du bûcher : nourriture (coquilles de moules, galette de pain, amandes …), tiges en fer appartenant à une fibule (sorte de bracelet épingle pour fixer les vêtements), un miroir circulaire en bronze (qui suppose un cadavre féminin), divers types de clavettes et de clous en bronze et en fer (provenant de semelles de chaussures, de décoration et d’assemblage du bûcher) et bien sûr les cendres issues de la crémation. Parmi tous ces éléments recueillis paraissant déposés en vrac, ce sont les trois céramiques qui ont permis de dater la tombe du dernier quart du Ier siècle avant JC.
La découverte en 2006 de cette tombe à incinération laissait présager l’existence d’une nécropole à proximité. Une intuition confirmée l’année suivante lors d’une fouille programmée qui permit de découvrir une fosse charbonneuse et une fosse bûcher. La première tout en participant au rite funéraire contenait une quantité négligeable d’ossements, peut-être n’était-elle qu’une fosse de vidange des restes de bûcher. La seconde contenait seulement 440 grammes d’ossements mais une partie avait probablement été déplacée dans une autre tombe définitive. Les offrandes alimentaires se rapprochaient de la tombe à incinération secondaire. On retiendra côté mobilier une urne complète CNT-ALP 1a3. Celle-ci ainsi que la CNT-ALP 1a8, les balsamaires et par comparaison avec des offrandes funéraires sur d’autres sites, ont permis de dater les tombes de la dernière moitié du Ier siècle avant JC.
1 : urne CNT-ALP 1a3 (dessin Patrice Arcelin).
2 : urne CNT-ALP 1a8 (dessin Patrice Arcelin).
3 : les 2 balsamaires à pâte claire type UNGUENT D1 (dessin Michel Py)