Pour les articles publiés sur Fos (fouilles sous-marines, anse Saint-Gervais, abbaye de Saint-Gervais, épaves, l’Hauture …) par les Amis du Vieil Istres : voir les bulletins n° 1-2-3, 5, 6, 7, 9, 13, 15, 18, 22, 24, 30, 31, 41 et 42.
En parallèle des fouilles terrestres, les Amis du Vieil Istres ont mené une campagne de fouilles sous-marines dans le Golfe. Aidés par des pêcheurs de Fos (Victor et François Conil), ces fouilles furent dirigées par le président des AVI : René Beaucaire après avoir été nommé par Fernand Benoit, alors directeur de la XIIème circonscription archéologique de la région Provence-Côte d’Azur. L’équipe de fouilles des AVI se composait des messieurs Conil, Cornille, Gouverneur, Michon, Terras, Paniagua, Sicardi, Aquaron, Cerdan, Puggioni, Reynaud, Fournon, Illaret, Agnel, Michaud, Fievet, Aillaud et bien d’autres … Ce furent les premières fouilles sous-marines en France grâce au développement de la plongée et du scaphandre par le commandant Cousteau. Elles débutèrent en 1948 après le déminage des plages. Dès les deux premières années, 53 séances de 2 à 3 heures ont permis le prélèvement d’amphores entières et cassées de toutes époques, de poteries grecques (VIème au IVème siècle avant JC), campaniennes (du IVème au Ier siècle avant JC) et d’une abondante série de céramiques gallo-romaines provenant de la Graufesenque. A cela, on peut rajouter des lampes, des monnaies en bronze et en argent (empereurs romains Trajan, Vespasien …) et diverses pièces comme un fléau de balance et des tuiles signées par le potier Apri. Les fouilles se poursuivirent jusqu’en 1965. Après cette date, d’autres organismes prirent le relais : les Amis du Vieux Fos dont l’association fut officiellement fondée en 1967, le club culturel et sportif de Port de Bouc, les plongeurs de la base aérienne d’Orange et la FFESM (Fédération Française d’Etudes et de Sports Sous-marins). Elles continuent encore sous la houlette du DRASM (Direction des Recherches d’Archéologie Sous-Marines). Mais à l’époque du Docteur Beaucaire, plonger n’était pas qu’une partie de pêche aux amphores. Les pièces remontées furent l’objet d’études scientifiques avec des experts tels Bernard Liou et Jean-Marie Gassend. Ces études pionnières permirent de connaitre et comprendre les inscriptions peintes ou gravées sur les poignées et le corps des amphores.
Sur les amphores et autres récipients de stockage et de transport, les inscriptions sont plus complexes à déchiffrer que celles gravées sur les céramiques. Les inscriptions peintes (tituli) sont plus rares et n’ont pu résister à l’usure du temps. Cependant les tituli des Dressel 20 de l’anse Saint-Gervais ont été exceptionnellement bien conservées malgré leur séjour prolongé au fond de l’eau ! Bernard Liou, Jean-Marie Gassend et Robert Roman se sont appuyés dans leur étude sur le principe créé par l’archéologue allemand Heinrich Dressel, qui rangeait ainsi les tituli :
Ligne α : nombre représentant le poids de l’amphore à vide en livres romaines.
Ligne β : nom du commerçant exportateur (mercator) mettant les amphores sur le marché.
Ligne γ : nombre représentant le poids contenu en livres romaines.
Ligne δ : date, port d’embarquement et nom du domaine producteur (ou de son propriétaire).
1 et 2. Inscription α (ligne du haut) : lire XXCVI (86). L’amphore pèse à vide 86 livres romaines (soit 28 kg environ).
Inscription β (ligne du bas) : lire L. ANTONI EPAPHRODITI. Le mercator exportateur se nommait Lucius Antonius Epaphroditus (très connu en son temps).
3. Inscription γ : lire CCXIIII (214). Le volume d’huile d’olive contenu pèse 214 livres romaines (78 litres environ).
4. Extrait d’une inscription δ : lire astig. Le port d’embarcation était Astigi, sur le Genil, affluent du Guadalquivir.
5. Un autre extrait d’une inscription δ : seul le dernier mot peut être interprété (fabi). Le nom du propriétaire du domaine se nommait probablement … Fabius.
Flacon à garum en provenance de Pompéi (hauteur : 47 cm) et découvert dans l’anse Saint-Gervais par Luc Carenco (Port de Bouc).
Ce flacon porte les inscriptions :
G(ari), F(los), SCOMBR(i), SCAVRI,MAR, L. MARI PONICI …
C’est un garum de maquereau produit par A. Imbricius Scaurus et exporté par L. Marius Ponicius. Un garum de 1er choix indiqué par le F (fleur)
Poignée d’amphore gauloise G4 estampillée CDV, recueillie dans l’anse Saint-Gervais. Les estampilles imprimées avec une matrice avant cuisson sont représentées par des lettres majuscules, le plus souvent sur les anses. Lorsqu’elles sont au nombre de trois, ce sont les Tria Nomina, des initiales qui indiquent alors le prénom, le nom et le surnom du propriétaire du domaine agricole et/ou du potier. Ici, on peut supposer pour ce Tria Nomina les initiales de Caïus Domitius Valerius …
Les dates de production des amphores prélevées dans le golfe de Fos, s’étalent selon les modèles, du IIème siècle avant JC jusqu’au VIIème après JC. Les ateliers d’origine découlent tous du pourtour méditerranéen : Alexandrie, Palestine, Mer Egée, Lusitanie (Portugal), Bétique (Espagne du sud), Tarraconaise (Espagne du Nord), Narbonnaise (Languedoc Roussillon Provence) et Afrique du Nord. Ce qui dénote un trafic commercial dense de part et d’autre de la Méditerranée. L’ancien port fosséen était de toute évidence l’escale idéale entre le Moyen Orient, Rome et l’Espagne ou pour accéder à la vallée du Rhône par les Fosses Mariennes. Fos est devenu au Ier siècle le port maritime d’Arles qui remplaça économiquement Massalia. Les cargaisons déchargées étaient alors transportées dans des embarcations adaptées aux ports fluviaux jusqu’à Lyon via Arles, capitales régionales. L’escale fosséenne s’est parfois avérée dangereuse puisque les amphores du musée d’Istres proviennent essentiellement d’épaves. Les équipages méconnaissaient probablement les fonds marins de Fos ou bien leur capitaine a tout simplement raté la passe d’entrée du port. Les limons du Rhône refoulés à son embouchure par la houle méditerranéenne ont créé des profondeurs inégales. Ces bas-fonds, source principale des naufrages, se sont avérés utiles pour connaître le trafic maritime de notre région à l’époque antique. Les pièces retirées de ce cimetière marin font aujourd’hui le prestige du musée. Néanmoins, on sait que la majeure partie (restée intacte) de ces cargaisons, a pu être récupérée les jours suivant le sinistre par les urinatores (plongeurs romains).
L’épave Saint-Gervais 1 :
Découverte en 1966 à 550 mètres à l’ouest de la pointe Saint-Gervais par le lieutenant-colonel Louis Monguilan (épave coupée en deux et les deux parties sont distantes de 150 mètres environ). Naufrage : vers 139 après JC. Cargaison : barres et lingots de fer, d’autres en plomb. Tous étaient destinés à la refonte.
Remarques : Certains de ces lingots de plomb portaient l’estampille d’empereurs romains, l’un au nom d’Hadrien (117 à 138) et trois autres au nom d’Antonin le Pieux (138-161) qui marqua l’apogée de l’Empire.
L’épave Saint-Gervais 2 :
Découverte en avril 1978 par des plongeurs associés aux Amis du Vieux Fos (dont faisait partie l’Istréen Robert Leffy) à 200 mètres de la plage du Casino, sous 2,50 mètres de profondeur. Naufrage : VIIème siècle après JC. Cargaison : blé et céramiques africaines, amphores africaines et orientales. Remarques : monnaies à l’effigie de l’empereur byzantin Heraclius Ier (qui régna de 610 à 641)
L’épave Saint-Gervais 3 :
Découverte en septembre 1978 par Danielle Quaini (club de Port de Bouc) entre les deux parties de l’épave Saint-Gervais 1, soit à 400 mètres du rivage et à quatre mètres de profondeur. Naufrage : vers 150 après JC. Matériel récupéré : onze unguentarium en verre (intacts), trois chaudrons en bronze (munis d’anses en bois), céramique sigillée claire A et amphores : gauloise G4, Beltran IIB (A-BET 2B), Dressel 14 type A (A-BET 14A) et Dressel 20 (A-BET Dr 20).
Amphores Dressel 20
(épave Saint-Gervais 3)
L’épave Saint-Gervais 4 :
Découverte en 1983 par messieurs Rodriguez et Navarra, à 6 mètres de profondeur et à 750 mètres du port de Fos. Naufrage : Ier siècle avant JC. Cargaison principale : amphores Dressel 20 et Beltran IIB.
L’épave Fos 1 :
Découverte en 1956 par Max Boscolo, puis déclarée par Guy Fournon (fouilles dirigées par le docteur René Beaucaire), au sud-est de la pointe Saint-Gervais, à 1,4 kilomètre du rivage et sous huit mètres de fond. Naufrage : vers 50 avant JC. Cargaison : céramiques campaniennes, amphores Dressel 12 (A-BET Dr 12), amphores Dressel 1B (A-ITA Dr 1B). Certaines portaient l’estampille MAHE qui a permis par recoupement de connaître l’atelier de fabrication : Albinia, en Toscane actuelle. Remarques : contenait du matériel contemporain à son naufrage et qui ne pouvait en aucun cas lui appartenir ! Parmi ce matériel étranger provenant d’un autre navire et probablement transporté par la mer, citons trois types d’amphores : Pompéi VII (A-BET P7), Dressel 14B (A-BET 14B) et la Late Roman 5-6 (A-ORI Lra5).
L’épave Fos 2 :
Découverte à proximité de la précédente, en 1985 par messieurs Rodriguez et Ortin. Naufrage : Ier siècle avant JC. Cargaison : amphores Dressel 1B, Lamboglia II, lampes et céramiques diverses.
D’autres amphores et vestiges archéologiques ont été prélevés dans le Golfe de Fos, hors des épaves et par des plongeurs individuels. Certains désintéressés ont fait don de leurs découvertes au musée. D’autres ont vendu leurs collections personnelles. Citons en vrac des colonnes, des ancres, des monnaies romaines à l’effigie d’empereurs, des lampes à huiles, des tonneaux en bois, des bas-reliefs en marbre ainsi que des stèles (plus de 10 tonnes au total) et des autels découverts par Louis Monguilan en 1975, mettant à jour une nécropole romaine du IIème et IIIème siècles après JC. Par des photographies aériennes, le lieutenant-colonel de l’ALAT avait également repéré en 1965 et 1973, à 300 mètres au large de la plage du Cavaou, 312 plots en pierre régulièrement répartis et formant deux quadrilatères de 100 m de long par 36 de large. Jean-Marie Gassend fouilla la zone et en déduisit qu’ils supportaient des piliers abritant la toiture de hangars destinés à des navalia (chantiers de construction et de réparation navales).
On retiendra trois autres pièces remarquables, toutes datées du Ier siècle avant JC :
La première est une poignée d’oenochoé en bronze, incrusté d’ivoire. Elle représente la tête d’Attis, fils et amant de Cybèle, la Mère des Dieux. Deux divinités d’origine phrygienne (région de l’actuelle Turquie) importées en Grèce et à Rome.
La seconde est une tête d’Aphrodite en ivoire. Pierre Fievet l’a découverte près de la plage de Saint-Gervais en 1955, lors de fouilles dirigées par le docteur René Beaucaire.
La déesse grecque de l’amour ne peut cependant rivaliser avec l’une des plus belles pièces du musée istréen : une hure de sanglier en bronze, repérée en 1960 près de l’épave Fos 1 par Pierre Vauthier, plongeur et sergent pilote de la base aérienne d’Orange. Cette pièce d’un poids de 13 kg, qualifiée d’unique au monde par la presse, a été exposée au Louvre en 1963 lors d’une exposition sur les bronzes romains ainsi qu’aux musées d’Arles et Borelly à Marseille Un sanglier identique se retrouve également sur la poupe du navire de Cléopâtre dans un tableau du peintre Charles Natoire (1700-1777). Cependant, la reine d’Egypte n’a certainement pas fait escale dans le Golfe de Fos ! Le sanglier du musée istréen ornait en fait l’éperon secondaire d’un navire de guerre romain. La pièce a été restaurée avant de trouver son emplacement définitif au premier étage du musée. Une copie par moulage a dû être réalisée par Martial Krempp, chef d’atelier du musée archéologique de Fréjus. Cette seconde pièce assure la sécurité de l’originale et permet son prêt pour des expositions hors de notre commune.
Cette rubrique se termine avec un extrait des textes de Philippe Diolé (plongeur, poète et écrivain, auteur des premiers livres de l’équipe Cousteau) qui notait dans un ouvrage (Promenades d’archéologie sous-marines) : Si le docteur Beaucaire et ses amis ont pu mener à bien pareille tâche qui leur fait tant d’honneur par la méthode employée que par les résultats obtenus, c’est qu’ils n’ont pas été portés vers l’archéologie par une vocation brusque et tardive … Le succès de Fos est le résultat d’une série de recherches poursuivies dans la même région, aussi bien sur terre que dans l’eau avec une continuité réfléchie … Il s’agissait de ne rien laisser échapper de ce qui pouvait permettre de restituer le passé de la région.