Le Miouvin
Articles publiés par les Amis du Vieil Istres sur le site du Miouvin : voir le bulletin n° 4.
Peu de temps après les castelnoviens de l’abri Cornille débutait une autre préhistoire : l’âge de la pierre polie ou néolithique, soit l’âge de la pierre nouvelle. L’outillage va subir une opération de finition pour un meilleur rendement dans l’utilisation : le polissage de la pierre (silex, roche verte …). La hache polie est l’outil emblématique de cette période située en France entre 6 000 et 2 000 avant JC. Echo de profondes mutations sociales et de techniques nouvelles, le néolithique marqua la fin d’une vie nomade basée sur la prédation et l’exploitation des ressources disponibles. Pour échapper à la sécheresse qui sévissait au Moyen Orient, des populations venues par mer, à la recherche de terres nouvelles, ont transmis un mode de vie, cette fois basé sur la production alimentaire : élevage (ovins, bovins, caprins …) et culture de céréales (blé, orge), légumineuses (gesses, vesces, fèves, pois…). Phénomène méditerranéen à l’origine, le néolithique est souvent présenté comme une période offrant la sécurité sur les ressources alimentaires. Une sécurité néanmoins fragile pour les cultures, tributaires d’une bonne saison climatique et pour l’élevage, contraint au parcage et aux pâturages. A Istres, les descendants des chasseurs-cueilleurs de l’abri Cornille ont rencontré ces émigrés. L’histoire ne dit pas s’ils ont été immédiatement séduits par ce mode de vie, s’ils se sont liés d’amitié, croisés ou battus. Peut-être ont-ils été contraints à l’agriculture et au travail alors qu’ils menaient une vie presque insouciante, parfumée de chasse et de pêche. Quoi qu’il en soit, ces ethnies se côtoyèrent et les rescapés, s’il y a eu bataille, sont devenus au Miouvin des agriculteurs-éleveurs. Car au néolithique, l’homme s’arrête progressivement de suivre le mouvement de la faune alors qu’en parallèle, le stockage des récoltes implique sa sédentarité. La chasse, la pêche et la cueillette ne deviennent que des compléments alimentaires et le ramassage d’escargots, typique du mésolithique, fut rapidement abandonné. Les notions de propriété du sol et d’économie apparaissent. Il faut protéger les animaux des prédateurs, les parquer et les préserver (comme les cultures) des vols et des pillages, inconnus jusque-là. C’est donc le temps des premiers hameaux entourés d’enceintes. C’est dans ce système social basé sur la production, que sont apparus les premières sépultures collectives, les dolmens, le tissage des vêtements, les premières céramiques pour cuisiner, manger et transporter : l’eau bien sûr mais aussi les matières premières (silex pour l’outillage et l’argile pour la poterie). La céramique permit de cuire autrement la nourriture et de préparer des plats comme les ragoûts.
Le néolithique est divisé en trois phases : le néolithique ancien (6 000-4 500 avant JC), phase transitoire, caractérisée par le cardial, terme issu d’un petit coquillage bivalve et comestible (la coque : cardium en latin) dont les bords dentelés servaient à décorer le mobilier (vaisselle en archéologie).
La seconde phase (néolithique moyen, 4 500-3 300 avant JC) est dite chasséen. Cette appellation provient du Camp de Chassey en Saône-et-Loire, identifié en 1864. L’industrie lithique est sans filiation connue et très souvent en silex blond. Cette seconde phase du néolithique voit les élevages se spécialiser et apparaître des produits laitiers comme les faisselles. La décoration des céramiques avec le cardium n’est plus à la mode. Sur le plateau du Miouvin, le cardial a peu livré, contrairement au chasséen où les premiers paysans istréens entrèrent vraiment en activité.
Le néolithique final (3 300-2 000) est principalement caractérisé par deux cultures : le couronnien (3 300-2 500), terme créé par Max Escalon de Fonton en 1947 suite aux fouilles du site éponyme du Collet Redon à La Couronne (Martigues). Les premiers maçons fixent leurs pierres de construction avec les marnes, préludes au mortier moderne. C’est le cas au Miouvin où les archéologues ont mis à jour une enceinte en pierres sèches qui allait s’avérer être l’une des premières de la région et comptant parmi les plus importantes.
Cette culture est suivie du campaniforme, période traditionnellement datée entre 2 500 à 2 000 avant JC mais qui se superpose parfois au couronnien final et qui peut atteindre l’âge du bronze ancien selon les régions. La mode campaniforme a contaminé une grande partie de l’Europe et reste énigmatique sur bien des points comme son origine. Jean Courtin pense qu’elle peut-être issue de la péninsule ibérique pour le sud-est de la France où plus de 300 sites sont recensés. Les sépultures remplies d’armes lithiques et de poignards cuivrés supposent pour cette période du néolithique final, une civilisation faite de guerriers et d’archers. Or, ce n’est pas cette virilité qui a été choisie pour la décrire mais son mobilier ! Le campaniforme (du latin campana : la cloche), se caractérise en fait par des céramiques au profil galbé, en forme de cloches renversées et richement décorées. Rares sont les céramiques lisses et sans motif.
Au Miouvin, l’archéologue Rémy Maumet fit les premières recherches en 1900 ainsi qu’une importante collection d’outillage lithique prélevé en surface. Mais en 1955, ce sont les sondages d’Alain Gouverneur qui dévoilèrent les emplacements les plus riches d’un habitat de plein air. Sur deux abris latéraux et sur deux secteurs du plateau, l’Ami du Vieil Istres décela un fond de cabane, des poteries néolithiques et de l’âge du bronze, divers types de silex, une industrie osseuse et de nombreux ossements (chèvre, mouton, bœuf, sanglier, lapin et renard). Les AVI demandèrent à Max Escalon de Fonton d’étudier le site. Quatre années plus tard, le célèbre archéologue marseillais (1920-2013) débuta avec son équipe des fouilles méthodiques qu’il n’a jamais publiées sous forme de compte-rendu précis. Mais on sait qu’il a pu mettre en évidence le niveau chasséen du site : céramiques, industrie lithique en silex blond, cabanes de 25 m² environ limitées par des alignements de pierres sèches, ainsi que des vestiges de remparts effondrés, ceinturant la zone d’habitats. Ce qui supposait un petit village se terminant probablement par un enclos de parc à bétail. Cependant, tout le Miouvin ne put être contrôlé et les années s’écoulèrent jusqu’à ce que le propriétaire des lieux envisage une opération immobilière en 1973. Ce projet déclencha des fouilles de sauvetage dans l’urgence. Après quelques sondages, les zones de fouilles furent localisées et différentes de celles d’Alain Gouverneur. La première zone se situait au nord et au bas de la butte qui culmine à 108 mètres d’altitude et appelée Miouvin I. Les fouilles durèrent jusqu’en 1979 puis reprirent de 1980 à 1985 sur deux autres zones dites Miouvin II et III. Les onze campagnes de fouilles effectuées durant la période 1973-1985 ont été conduites par Henriette Camps-Fabrer (directeur de recherches au CNRS) assistée par André d’Anna (alors chargé de recherches au CNRS et sous-directeur de la circonscription d’archéologie PACA). Le gisement s’avéra d’un grand intérêt pour la connaissance du chasséen et sur les modes de construction de murs d’enceintes.
L’industrie lithique assez faible (18 pièces prélevées) du niveau 3 (le plus profond) correspondait au néolithique ancien (cardial), voir antérieur. Les silex de l’outillage des niveaux 1 et 2 étaient par contre abondants et typiques du chasséen (176 pièces). Dans le niveau 1, le silex blond représente les 2/3 des pierres taillées et la moitié dans le niveau 2. On notera un perçoir tournevis, pièce caractérisée par son méplat et employée pour rainurer les os, décorer ou encore enchâsser une pointe de flèche sur son manche.
L’outillage des niveaux 1 et 2 (grattoirs, burins, lames, perçoirs, pointes de flèches …) sont toujours typiques de la période chasséenne. Notons également trois billes en calcaire poli, souvent utilisées pour marteler la meule et broyer les graines des céréales même si des emplois annexes sont envisageables (jeu, lest, pierre de jet…). Avec ces billes, le second niveau a présenté d’autres particularités. Tout d’abord, trois haches polies issues de roches vertes (dites glaucophanes) provenant des galets de la Durance. La Crau, son ancien delta, en recèle (avec des galets en quartzite, une autre matière première de l’industrie lithique). Sur les trois récupérées, deux étaient de plus grande taille que la norme chasséenne. Mais ce second niveau se démarque par quelques pièces originales : un perçoir à biseau terminal, une pointe de flèche biface et une pièce biface de type poignard. Ces singularités ont laissé penser aux chercheurs que l’occupation du Miouvin I s’est prolongée jusqu’au chasséen final, voir au début du couronnien.
Dessins de Max Escalon de Fonton.
(dessins d’Yvette Assié).
L’industrie osseuse (et du bois de cerf), déjà connue au paléolithique, a livré dans la plupart des sites des objets aiguisés pour lisser, perforer, piocher ou équiper des armes consacrées à la pêche et à la chasse (harpons, flèches, sagaies …). Au chasséen, cette industrie provenait le plus souvent d’ovins et de caprins. Miouvin I apporte sa part d’originalité avec l’utilisation rare d’os de lapins entiers ou fendus longitudinalement.
50 m² de fouilles ont livré une multitude de fragments de céramique (18 273 tessons selon Françoise Vanel-Beneytout). Ce mobilier (vases, marmites, bols, assiettes) a confirmé l’époque chasséenne Miouvin I se distingua une seconde fois avec une pièce unique dans le chasséen provençal : une cuillère phallomorphe, découverte en 1979 lors de la dernière campagne de fouilles. Parmi les céramiques recueillies, cet ustensile est le seul qui a vu l’emploi d’un dégraissant composé de mica, de sable fin et de grains de quartz roulés. Mangeait-on sexy à Miouvin I ? En tous cas, cet objet érotique pose la question de son utilité en cuisine : usage quotidien, simple décor, culte phallique, artisanat facétieux ou faut-il s’orienter vers une signification plus complexe … Aucun objet similaire n’a été découvert dans les gisements sud européens de cette époque.
La présence d’éléments de meules, de molettes (petit outil pour écraser les céréales) et de faucilles en silex atteste la pratique de l’agriculture, activité clé du néolithique. Les faucilles représentent le seul outil de récolte à cette période de la préhistoire. La lame droite, parfois à peine courbée d’une dizaine de centimètres, était fixée en bout de manche. Sa longueur atteindra les 20 cm à la fin du néolithique. Les datations au carbone 14 ont permis de confirmer les deux périodes supposées d’occupation. Elles appartiennent au néolithique final : la première est un chasséen assez récent (de 3 600 à 3 000 avant JC environ). La seconde est couronnienne et se termine vers 2 200 avant JC.
Dessins d’Yvette Assié.
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Situé au pied d’une ligne d’abris à 40 mètres au sud-est de Miouvin I, la zone de Miouvin II offrit un abondant matériel avec des gobelets campaniformes et des tessons décorés du type du Camp de Laure, datés du bronze ancien. A cela, s’ajoutaient des silex gris et blond ainsi que de nombreux restes de canidés, tortues, moutons, rongeurs, bœufs et des coquillages (pecten, murex et moules). En 1979, un incendie estival a rasé une nouvelle fois la végétation dense du plateau. Le malheur des uns fait le bonheur des autres … Le proverbe fut pleinement vérifié par les archéologues qui découvrirent un mur en pierres jusque-là insoupçonné, auparavant caché par les cistes et les chênes kermès. Les recherches de Miouvin II furent aussitôt délaissées et s’orientèrent vers Miouvin III où ce mur allait s’avérer riche d’enseignements sur les techniques de constructions d’enceintes dans le midi de la France.
(Photo André d’Anna).
Cette troisième zone de fouilles qui comportait un petit atelier de taille de silex, apporta de plus amples informations sur la vie du site. Différentes périodes se sont à nouveau succédées, la plus ancienne étant un habitat chasséen de plein air identique à Miouvin I. Henriette Camps-Fabrer et André d’Anna ont ensuite défini quatre phases correspondant à des occupations remaniées de Miouvin III, situé à 70 mètres au sud-ouest de Miouvin I.
Tout d’abord, un habitat ouvert daté du néolithique final avec des vases, des petits bols hémisphériques et une industrie lithique typique du couronnien. La phase suivante est marquée par la construction d’un mur d’enceinte à double parement de pierres sèches empilées, avec remplissage interne. Ce mur d’une largeur d’1,5 m a pu être reconnu sur plusieurs tronçons dont le plus long s’étendait sur une longueur de 14 mètres. Les habitants vivaient entre la falaise ouest et ce mur, sur une superficie de 2 000 m² environ. Une autre période d’occupation fut précisée entre 2 600-2 300 avant JC. L’enceinte a été ensuite modifiée entre 2 300-2 100 avant JC avec un nouveau mur adossé sur le précédent et parfois l’englobant. Il a pu être reconnu sur une longueur de 80 m et comportait un double parement de dalles dont certaines atteignaient une longueur de 1,90 mètre sur 1 mètre de large et 40 à 50 cm d’épaisseur. Comme pour le premier mur, le matériau était extrait sur le site même, soit du calcaire vindobonien, friable à la merci de l’érosion du temps. Ce qui suppose une enceinte haute d’1,60 mètre en son temps. Une porte d’entrée est soupçonnée au sud. Cette enceinte n’avait pas un réel rôle défensif comme certaines sur le massif de la Nerthe. Elle était plutôt vouer à une simple clôture marquant le début de la notion de propriété et à vocation pastorale pour parquer le bétail. Le mobilier retrouvé lors de ces seconde et troisième phases était toujours de type couronnien.
Céramiques type Camp de Laure (près de Gignac), datées du bronze ancien-épicampaniforme. Reconstitution à partir de fragments.
Décors incisés (bandes à hachures verticales et bandes croisées denses).
Dessins Henriette Camps-Fabrer et André d’Anna.
La quatrième phase a vu un habitat à l’extérieur du dernier mur d’enceinte, coté est. Caractéristiques de la maison néolithique, huit trous de poteau (diamètre 30 cm) parallèles à ce mur ont pu mettre à jour la construction d’une cabane de 13,5 m sur 3,5 m, avec toit à pente unique. Le mur servait de façade ouest. A cette époque, les murs étaient enduits de torchis (mélange de terre argileuse et de paille hachée). Le toit pouvait être recouvert de roseaux, de joncs ou de chaume. Quant aux poteries, au mobilier couronnien en affinité avec celui prélevé sur le site de Ponteau (Côte Bleue) se sont ajoutés de nombreux tessons de céramique campaniforme décorés comme celle du Camp de Laure (près de Gignac) ainsi que deux alènes à section carrée, en cuivre (poinçon pour percer le cuir). Ce qui dénote un habitat plus récent durant une période de transition entre le néolithique final et l’âge du bronze où l’industrie lithique est alors accompagnée d’objets en cuivre (khaldos en grec). Associé au grec lithos (pierre), khaldos a donné le terme chalcolithique, plus approprié pour nommer cette période transitoire, remplaçant l’appellation désuète d’âge du cuivre … d’autant plus que la taille de la pierre a été réellement abandonnée vers 1 500 avant JC (soit à l’âge du bronze moyen). Introduit par les campaniformes, le cuivre est apparu dans notre région entre 3 000 et 2 500 avant JC. Selon Jean Courtin, les gisements provençaux n’auraient été découverts qu’à l’âge du bronze. Cependant, il était importé de Cabrières (Hérault) où les mines étaient exploitées dès le début du néolithique final. A partir de 3 000 avant JC, les mines de Saint-Véran dans les Alpes ont concurrencé la production languedocienne. Le cuivre est un matériau moins performant et moins robuste que le silex. Mais sa couleur attrayante apparaissait comme un symbole comparable à l’or actuel pour nos anciens istréens. Il incitait son utilisation en parure. L’outillage dans ce matériau nouveau pouvait paraître prestigieux aux yeux de leurs utilisateurs.
Les prélèvements de Miouvin III attestèrent également la pratique de l’agriculture et de l’élevage avec de nombreux restes de moutons et de chèvres. Le pourcentage d’ossements de bœufs, porcs et canidés est resté modeste. Mais quelques coquillages étaient présents (pecten, cérithe, moules, bigorneaux). Certains étaient percés et destinés à la parure. La présence de ces mollusques et de poissons confirme l’activité parallèle de la pêche et celle de la chasse par des restes de lapins et de pointes de flèches bifaces. A ces armatures, se joignaient de nombreuses lames et lamelles en silex. La rareté des burins, grattoirs et autres perçoirs peut s’expliquer par la mise en culture du plateau et par la construction allemande du bunker ouest mais surtout par des fouilles clandestines, très nombreuses, qui ont précédées et piratées celles de Miouvin III. Néanmoins, les habitants chalcolithiques n’étaient pas les plus jeunes du plateau istréen. Les archéologues ont mis en évidence le renforcement de l’enceinte au bronze ancien (1 800-1 500 avant JC), sa destruction partielle à l’âge du bronze final (1 200-850) et une occupation limitée à l’âge du fer (vers le Ier siècle avant JC).